Petite virée au festival littéraire des Correspondances de Manosque, 23-27 septembre 2015

Par Emmanuelle Boudy

Ce jeudi 24 septembre, Manosque resplendit sous un doux soleil automnal. Au cours de la journée, nous assistons à quatre rencontres avec des auteurs d’envergure : Javier Cercas (L’Imposteur), Carole Martinez (La terre qui penche), Agnès Desarthe (Ce cœur changeant) et Jonathan Coe (Expo 58). Au-delà de leur actualité littéraire, je voudrais revenir sur ce qu’ils ont révélé de leur identité d’auteur, de leur conception du roman ou de l’écriture, thèmes abordés lors de ces lectures publiques.

Javier Cercas : La part d’ambiguïté présente dans un roman permet au lecteur de se l’approprier, de le faire sien, d’autant que ‘le roman peut tout assimiler’. Le roman permet à l’auteur d’être ‘le romancier de lui-même’, en bataillant entre la réalité et la fiction, la vérité et le mensonge, car il y a toujours ‘un grain de vérité’ dans un roman.

Carole Martinez : Notre identité est ‘pleine de notre enfance, de ce qui ne bouge pas’ et ‘les grands-parents sont le siège de l’imaginaire des enfants’. L’écriture passe par l’abandon, le lâcher-prise, puis par le travail, donc par ‘le lien entre abandon et maitrise’. C’est ‘un jet, un jaillissement que l’on modèle, comme une pâte’, ‘un tissu de mots’. Texte et textile ont d’ailleurs la même étymologie. ‘Le lecteur brode dans les silences’. L’une de ses héroïnes veut apprendre à écrire pour exister par rapport au pouvoir masculin, ‘écrire pour se libérer de son père’, lequel pense qu’une femme instruite est le diable dans la maison.

Agnès Desarthe : Pour écrire, il faut ‘une disponibilité d’esprit, un lâcher-prise’, ce qui implique d’avoir ‘une double vie : le quotidien et l’écriture’. Son héroïne passe par des états successifs libérateurs : elle est d’abord muette, puis parlante, et enfin écrivante.

Jonathan Coe : ‘Le récit est parfois la métaphore des sentiments du héros, sous les multiples couches d’ironie qui caractérisent la narration’. ‘La vie imite l’art et vice versa.’

Ces quatre magnifiques auteurs nous aident à mieux comprendre ce que la lecture et l’écriture apportent, ce que l’on cherche en elles, ce que l’on puise à leur source. Lire, écrire, nous plonge dans la compréhension du monde, des autres et de nous-mêmes. Chaque œuvre offre une vision particulière au lecteur, qui chausse les lunettes des personnages, celles du narrateur et de l’auteur, tout en regardant à travers son propre prisme. Quel plaisir de se laisser emporter par cette mise en abyme dans le tourbillon des émotions d’êtres imaginaires ou réels, dont les sentiments, les réflexions et les actions résonnent en nous le temps d’un roman, ou nous marquent à jamais, ayant allumé dans le tréfonds de notre âme une lueur d’humanité partagée. Certains livres nourrissent, font grandir, élèvent la conscience, nous révèlent une part de nous-mêmes ou d’autrui, une vérité cachée qui soudain jaillit, frappe notre esprit embué. Un voile est levé… On pense que l’auteur tient les rênes mais écrire (comme lire) c’est aussi s’ouvrir à l’imprévu, à l’aventure : tel personnage déborde du cadre initial, tel château imaginé existe en réalité. Tel poème, débuté le cœur léger, nous conduit d’écho en écho aux sources du passé qui frissonne à la surface de l’inconscient, et en ces profondeurs le chant poétique harponne finalement un cœur lourd : petit cœur saccagé va remonter, se libérer, s’alléger et devenir une bulle d’espoir prête à éclater.