Cette deuxième rencontre du petit conservatoire de la traduction a eu lieu mardi 20 octobre. Les étudiants de première et de deuxième année du Master Traduction se sont retrouvés à Cami-Li Books & Tea – un changement de décor plus propice à la discussion. Comme l’indique l’intitulé de cette rencontre, adopte-un-traducteur.com, tous sont venus avec, en tête, un traducteur de leur choix.
C’est donc un mardi soir, la nuit tombée, que nous nous retrouvons devant la librairie anglophile. Beaucoup rentrent s’installer et se réchauffer, tandis que d’autres, arrêtés par la vitrine et les bacs emplis de livres, parcourent du regard les tranches et les couvertures. A l’intérieur, nous sommes accueillis chaleureusement par Camille, la propriétaire, qui nous invite à nous installer.
Les premières discussions sont hésitantes : on partage nos expériences de master, nos angoisses linguistiques, et nos peurs du couperet affuté de la correction. On discute textes, matières, professeurs. Camille, ancienne étudiante du master, se joint à la discussion entre deux services de thé. La thématique de la soirée reprend peu à peu le dessus ; on parle de nos premiers souvenirs de lecture qui se révèlent être, pour la majorité, des ouvrages traduits. On peine cependant à se remémorer le nom des traducteurs – il semble y avoir dans ce domaine un certain problème.
Les histoires se recoupent, beaucoup ont lu les mêmes auteurs, et incidemment les mêmes traducteurs. Une voix s’élève, puis deux, dans le vacarme grandissant d’un enthousiasme partagé.
Au fil des discussions, ce manque de visibilité des traducteurs devient plus apparent. Lors de leurs recherches, beaucoup n’ont trouvé que peu d’informations, récoltées précieusement sur les pages wikipedia des traducteurs ou sur leurs sites personnels ; leur biographie en est très souvent absente, et les maigres informations prennent généralement la forme d’une liste d’ouvrages traduits.
On cite des traducteurs à droite, à gauche, chacun différent du précédent : ici, un traducteur de polars. Là, un traducteur de science-fiction. Beaucoup traduisent de l’anglais, bien que certains se distinguent par la rareté de leur langue source – Antoine Chalvin, notamment, qui traduit depuis l’estonien. Certains ne revendiquent pas plus que ça leur activité de traduction, tels Patrick Couton, qui se définit avant tout comme un musicien. Denis Savine, lui, avoue être tombé « par hasard » dans la traduction au détour de sa passion pour le jeu de rôle.
Beaucoup d’entre nous ont adopté leur traducteur par hasard, ou par défaut : celui qui apparaît sur la couverture – et encore, pour les plus chanceux – de notre lecture la plus récente. Il devient indéniable, au fil des conversations, que le traducteur est, dans la plupart des cas, un travailleur de l’ombre.
Mais cela ne nous décourage pas pour autant.
Corentin Riaucourt
Un élément qui est ressorti durant la dernière séance du petit conservatoire de la traduction est la difficulté de trouver des informations sur le traducteur même. L’on trouve facilement ses publications, mais peu de choses sur sa vie personnelle ou son parcours, le traducteur ne bénéficie donc pas d’une grande visibilité, reste en retrait.
Une deuxième tendance qui s’est dégagée est que le traducteur a souvent une activité annexe, il peut être professeur, romancier ou bien poète; et seul l’un des traducteurs (Nadine Gassie, qui a notamment traduit les œuvres de Stephen King) présentés vivait entièrement de la traduction.
Le manque d’information sur le traducteur entraîne aussi un manque d’information sur la façon dont ils traduisent. Parmi tous les traducteurs cités, seuls trois expliquaient leur méthode: Patrick Couton, connu pour avoir traduit les livres de Terry Pratchett, déclare qu’il n’a « pas de méthode précise » ; qu’il se » jette dans un bouquin et advienne que pourra. J’essaye quand même de me renseigner sur le roman et l’auteur au moyen d’internet. » Le second, Guillaume Fournier, qui traduit principalement de la science fiction et de la littérature jeunesse, explique lire le livre et prendre des notes, et redouter les séries de livres car un choix fait peut se voir infirmé ou évoluer dans un volume postérieur. Il remarque aussi « qu’il y a toujours une part d’adaptation, mais qu’elle doit rester la plus mince possible ».
Enfin, on a pu constater une certaine diversité des langues traduites. Si la plupart des traducteurs présentés traduisaient depuis l’anglais, d’autres langues ont été abordées. Il y a par exemple Jean-Pierre Minaudier, qui traduit depuis l’Estonien (il a traduit L’homme qui savait la langue des serpents, de Andrus Kivirähk) et est un des rares traducteurs à travailler sur cette langue, ou Denis E. Savine, traducteur d’origine russe et qui a traduit la série de livres Metro 2033 et Metro 2034 de Dmitry Glukhosvky, ou encore Patrick Guelpa, traducteur depuis l’islandais du Livre du roi d’Arnaldur Indridason.
La conclusion de cette séance est somme toute banale: le traducteur est comme d’habitude peu mis en avant, peu de choses les concernant sont connues, y compris leur méthode de travail. La traduction reste un travail de l’ombre aux rouages méconnus et le traducteur une figure presque « transparente ». Cependant au vu de la diversité des profils et des langues présentés, on est bien obligé de reconnaître l’importance du traducteur dans la production culturelle, et si possible les remercier de nous ouvrir de nouveaux horizons qui jusque là se refusaient à nous .
Emeric Obin